ANDALOU  chapitre 1

Faites-vous une idée de l'histoire, voici le premier chapitre!

 


 

Chapitre I

 

11 aout 1987.Comme tous les matins depuis bientôt six mois, je pédale en bordure de canal du midi pour me rendre au domaine de Roques Basses. Ça en fait sourire plus d’un quand je dis que je vis en plein rêve : je n’ai rien, à part ma passion, les chevaux. Mon rêve est devenu réalité cette année. Je vis, je mange, je dors, en ne pensant qu’à eux. Alors c’est vrai que mon choix inquiète tous ceux qui me connaissent. De quoi vas-tu vivre, me demande-t-on souvent, on ne gagne pas sa vie dans ce milieu-là, on la perd ! Mais j’ai toujours vécu avec la certitude que la vie était courte, et que chaque minute devait être employée à la recherche du bonheur. Pas le temps de gaspiller !

Quand Marcel, le propriétaire du domaine m’a proposé de développer une activité équestre chez lui, j’ai tout laissé tomber : mes études, qui de toute façon ne me menaient pas à grand-chose, ma chambre bien confortable chez mes parents et une grosse partie de mes amis qui n’ont pas compris ma décision. Et je me réjouis tous les jours d’avoir les pieds dans le crottin, des brins de foin plein les vêtements, et le dos en compote certains soirs ! Alors c’est vrai que je gagne à peine de quoi vivre, et encore, je m’en sors parce que je vis avec ma sœur et que nous partageons les frais. C’est vrai aussi que je ne peux faire aucun projet d’avenir, mais j’ai toujours évité d’en faire, je trouve ça tellement présomptueux ! Ce que je sais, c’est qu’ici et maintenant, je suis heureuse, très heureuse !

 

C’est l’heure où les cigales se réveillent. Elles remontent des touffes d’herbes où elles ont passé la nuit, pour regagner les branches des platanes. Ce n’est pas forcément agréable, même si tout le monde raffole de ces bêtes-là. Ce sont quand même de gros insectes vibrants et quand elles vous tombent dans la chemise à même la peau, ça n’a vraiment rien de drôle. Je les évite à grand peine et je manque de peu de tomber dans le canal. Mais j’ai l’habitude, je fais ce trajet tous les jours. En un coup de guidon, je remets mes roues sur le chemin et je repars. Il n’est pas encore huit heures et les premiers touristes que je croise sont déjà sur le pont de leur péniche.

Encore un virage et ça y est, l’odeur des chevaux semble sortir de derrière les fourrés comme une bête sauvage. Je me faufile entre deux buissons, à droite de la prise d’eau et je déboule dans le domaine. Des hennissements de bienvenue me parviennent de l’enclos.-Salut les filles, salut les garçons !

Je les appelle comme ça, quatre juments et trois chevaux, cinq camarguais blancs comme neige, et deux demi-sang espagnols noirs. Le bâtiment des caves est apparemment vide, je laisse mon vélo contre le vieux mur en pierre et je continue à pied, sous les tilleuls, jusqu’aux écuries. Je suis à Roques Basses, domaine viticole, comme il y en a au bout de chaque chemin dans cette région. Celui-ci fut construit par Paul Riquet, célèbre bâtisseur du canal du midi au 17emesiècle. Le domaine est composé de plusieurs bâtiments éparpillés dans un vallon ombragé. Il y a la cave à vin, qui, comme son nom ne l’indique pas, n’est pas enterrée. C’est une vraie cave à l’ancienne, avec des cuves en béton peintes en rouge et blanc d’un côté, et de gros foudres en bois de l’autre. Plus loin se trouve la maison du maître, petite et blanchie à la chaux. Plus bas encore, les communs où logent les ouvriers agricoles pendant les vendanges. Ils sont mitoyens avec les écuries et le pailler. En guise de cour intérieure, il y a une vieille vigne et devant la maison des maîtres, un bosquet de tilleuls plus que centenaires. Le terre-plein, à côté de la cave a été transformé en enclos pour les chevaux. J’ouvre la grande porte de l’écurie, dans un long grincement de rouille. Persane et sa fille Jolie m’accueillent en grattant le sol en signe d’impatience. Elles sont les juments du propriétaire et ont le privilège d’être à l’intérieur, à l’abri des mouches et de la chaleur.

  - Du calme les filles, ça vient !

Je leur caresse le mufle et elles me soufflent dans les mains. J’ouvre l’arrivée d’eau et remplis leur abreuvoir. Est-ce le bruit de l’eau ou la peur de la déshydratation, mais chaque matin, c’est à ce moment précis que ces demoiselles se mettent à pisser ! Je monte au pailler. Ha, que j’aime cette odeur douce, plus sensuelle que les plus grands parfums ! Je balance trois balles de foin par les trappes et je les distribue, en premier aux deux privilégiées puis aux chevaux de l’enclos. Je prends bien soin de répartir les paquets de fourrage loin les uns des autres pour éviter les bagarres. Mais comme chaque matin, le Gros Noir (on n’a jamais réussi à l’appeler autrement) couche ses oreilles et chasse la pauvre Ginette qui doit se contenter du tas le plus éloigné. Le plus urgent est fait. Je m’assois un instant sur la murette en pierre sèche qui surplombe l’enclos. J’observe le ballet incessant des chevaux cherchant à voler le foin du voisin. Je profite un instant de la fraîcheur matinale qui ne fera pas long feu. Les cigales entament leur long chant d’amour, c’est l’été, il fait beau, j’ai vingt-trois ans et je vis enfin ma passion : les chevaux !

Personne n’a jamais compris pourquoi j’étais à ce point fascinée par ces grosses bêtes. Pas un canasson dans la famille, pas de cavaliers, rien ! Je les aime et pourtant je ne compte pas les vols planés, les plaies, les bosses, les lèvres éclatées et récemment, un fracture de la clavicule. Mais rien n’à faire, c’est peut-être du masochisme, mais je les adore !

  - Té, Pinky !

Voilà Marcel, le propriétaire de Roques Basses. Pinky, c’est mon surnom, depuis que je me suis retrouvée le bras en écharpe. A priori, rien n’à voir, si ce n’est que je portais également un survêtement rose à ce moment-là, et qu’ils m’ont trouvé une ressemblance avec un flamant rose, d’où le pink floyd puis Pinky. Quand je dis « ils », je veux parler de Marcel Garric et de Jean René Coste, dit JR, le propriétaire de la quasi-totalité des chevaux. Et oui, moi, je ne suis propriétaire que de la bicyclette et encore, c’est celle de ma sœur ! Je travaille pour eux. Je débourre, je nourris et je monte les chevaux. L’été, je guide les touristes en balade, et on se partage la recette tous les trois. Marcel est un quinquagénaire débonnaire, viticulteur, d’une vieille famille du terroir. Il est passionné par sa terre et son Languedoc dont il parle la langue.

  - Ha ! J’ai des anglais qui débarquent à dix heures, ils viennent de l’Albatros. Il y en a trois qui veulent monter. Vous allez vous régaler.

Nous nous vouvoyons tous, ce qui donne souvent un style très bourgeois à nos conversations.

  - Bonjour, Marcel, ça va très bien, merci et vous-même ?

  - Vous êtes bien susceptible de bon matin, bonjour, ma petite Pinky !

  - N’allez pas dire après que ce sont les jeunes qui sont malpolis !

Et il me colle une bise bruyante sur chaque joue. Nos rapports sont très souventsur le mode humour. Nous passons notre temps à nous envoyer des piques. Marcel passe son temps à essayer de me fiancer. Les clients, les amis, tout le monde y passe ! Aujourd’hui, je sais ce qui m’attend. L’Albatros, dont il vient de parler est une grosse péniche de croisière qui sillonne le canal du midi avec son plein de touristes. Son capitaine, un anglais, s’appelle…Pinky ! Il est très anglais dans son genre, grand, maigre, un coup de soleil permanent colore son visage, d’où le surnom, et son grand nez pèle du premier juin au trente septembre.

  - J’espère que vous aurez le temps de flirter avec ce pauvre Pinky. La dernière fois vous l’avez planté là, sans explication, il était dépité !

  - Vous ne voulez quand même pas que je lui cède au premier rendez-vous ! Il faut qu’il me mérite !

Il éclate de rire.

  - Vous avez raison ! Et puis, c’est un anglais, méfiez-vous, ils sont sournois !

  - D’accord, je l’aurai à l’œil.

  - Ne flirtez pas trop tard ce soir, c’est le début de la feria et j’aurai besoin de vous.

  - La bodega n’ouvre que demain soir !

  - Oui, mais j’ai un invité de marque et je tiens à vous le présenter.

  - Encore un fiancé ?

  - Non, celui-là, c’est LE fiancé ! Je suis sûr qu’il vous plaira !

  - Comme d’habitude, à vous entendre, ils sont tous beaux, riches intelligents et amoureux de moi !

- Vous êtes une ingrate, ou une aveugle, je ne sais pas. N’empêche que celui-là…

  - Assez de mystère, c’est le capitaine de quel navire ?

Marcel a pour habitude de faire table d’hôte le soir sous les tilleuls. J’y suis souvent conviée et les clients sont souvent les passagers des fameuses croisières en péniches. Marcel profite de ces soirées pour jouer une magnifique comédie, le rôle du propriétaire terrien bien de chez nous. S’il boit un peu et si l’auditoire féminin l’inspire, il réinvente les contes et légendes du Languedoc un peu particuliers.

  - C’est beaucoup mieux qu’un capitaine de péniche. C’est un homme, un vrai, mais vous n’avez qu’à venir, je ne vous en dirais pas plus !

Et il tourne les talons après m’avoir décoché un clin d’œil qui se veut ravageur. Il peut être satisfait, il a réussi à aiguiser ma curiosité. C’est la première fois que je le sens admiratif, lui qui est plutôt du genre à trouver les jeunes stupides et sans intérêt. Je réfléchis. Ce doit être un vieux. Il veut me caser avec un vieux. Mais le temps presse, la péniche de Pinky vient de corner dans le grand virage après le pont, les Anglais sont en avance et je dois vite préparer les chevaux.

La journée se déroule comme dans un rêve. Le soir arrive après six heures de balades. L’air est de braise. A l’ombre, Consuelo, la bonne de Marcel, dresse la table. J’ai complètement oublié le repas de ce soir, comme quoi, les chevaux sont vraiment plus forts que tout ! Il faut que je m’active. Je desselle, nourris et abreuve tout mon petit monde à quatre pattes, sauf Persane, ma grande et belle. Elle ne m’appartient pas mais nous sommes sincèrement liées. La preuve en est qu’elle a bien compris que j’allais la monter et qu’elle ne mangerait que plus tard. Elle attend patiemment et en silence que j’en ai fini avec les autres. Marcel m’interpelle de loin :

  - Pinky, vous êtes prête ? Les invités arrivent !

Effectivement, deux grosses Mercedes noires viennent de s’engager sur le chemin. Vieux mais riches, me dis-je.

  - A moins que vous n’ayez envie de manger dans une odeur de crottin, je dois encore aller me laver et me changer !

  - Faites vite, les voilà !

  - Les jolies filles se font toujours attendre, c’est vous qui me l’avez appris !

  - Il y a des jours où je ferais mieux de me taire ! Prenez ma voiture si vous voulez.

  - En fait, je vais plutôt prendre votre jument, j’aurai plus vite fait.

Je joins instantanément le geste à la parole et je me hisse en selle en souplesse. Persane a la fâcheuse manie de bouger au montoir, et il ne faut surtout pas hésiter. C’est une jument très nerveuse, une anglo-arabe, grise mouchetée de roux, avec un cœur gros comme ça. Entre nous, presque pas de mots ni de gestes, ça passe de cerveau à cerveau. Elle sait toujours exactement ce que j’attends d’elle. En l’occurrence, elle a compris que j’étais en retard et démarre en trombe. Ça ne me prendra que quelques minutes en coupant par le pech (petite colline dans la région de Béziers). Ce chemin débouche à quelques mètres de chez moi. Je retiens un peu la jument pour passer sur le pont le long de la route. Je croise les deux berlines sans y prêter plus d’attention et je lâche enfin toute la puissance de la bête qui en profite pour se défouler. Je me suis souvent dit qu’elle battrait n’importe quel crack sur une piste de course. Elle adore galoper ventre à terre. Elle court tellement vite que je ne bouge plus sur mes étriers. Je me mets juste en équilibre, le plus près possible de ma selle et je la laisse filer, le nez dans sa crinière. En moins de cinq minutes nous sommes arrivés.

Je saute à terre, l’attache rapidement à la grille du jardinet devant ma maison et je me précipite dans la douche. J’en profite pour réfléchir à ma tenue. Vu mon moyen de locomotion, ce sera un jean, et peut-être ce petit bustier en tissus provençal que je viens d’acheter, histoire de faire baver mon « fiancé » sur mon généreux décolleté, et une petite veste en jean pour lui rappeler qu’il est trop vieux ! Je laisse mes cheveux mouillés flotter librement, ils sècheront sur le chemin du retour, galoper les cheveux au vent est certainement la chose la plus jouissive que je connaisse. Je dépose une goutte de parfum derrière mes oreilles et entre mes deux seins, me pare de deux créoles en or, qui me donnent l’air d’une gitane et je repars. Persane me trouve jolie, je m’imagine acceptable. Nous repartons par un autre chemin qui me fera arriver directement aux écuries. Le galop du retour est un peu moins rapide, il est vingt heures dix, nous ne sommes pas trop en retard, tout compte fait.

Le dernier tronçon du chemin longe l’allée de tilleuls où sont installés les invités. J’arrive au petit galop puis, je passe au pas à leur hauteur, pour faire souffler la jument. Je jette un rapide coup d’œil au passage. Les invités sont au nombre de trois, deux vieux et un jeune, mais je n’ai pas forcement bien vu. Vite, je desselle, et nourris la jument, je me lave les mains et je cours les rejoindre. Ils ne sont plus que deux, les deux plus vieux. Ils se lèvent à mon approche, Marcel me les présente : Antonio Juarez et Juan Marques, espagnols tous les deux. Leur nom me dit vaguement quelque chose, je les salue. Ils m’évoquent Don Quichotte et Sancho Pansa ; Juarez est grand et maigre, avec un profil d’oiseau de proie, Marques est petit et bedonnant, avec une petite moustache à la Dario Moreno, d’ailleurs, c’est son portrait craché. Marcel m’éclaire, ils sont tous les deux ganaderos, c’est à dire éleveurs de toros de lidia, les taureaux de combats utilisés pour les corridas. Sympa Marcel, mon espagnol est laborieux et la corrida est un peu notre sujet tabou. Le troisième larron nous rejoint en compagnie de la femme de Marcel. Et là, je dois bien avouer que je reste ébahie. Il est beau, mais vraiment très beau ! Velours est le mot qui me vient étrangement à l’esprit. De taille moyenne, épaules larges, hanches étroites, il a une démarche souple, il est brun et mat de peau, impeccablement rasé, il a des yeux rieurs, très noirs, comme les miens (c’est à dire, pas noisette, mais vraiment noirs) avec de longs cils, ses cheveux sont ondulés et plaqués au gel (ça, c’est moyen) et enfin il m’adresse un sourire éclatant, les dents blanc perle, les lèvres charnues et sensuelles à souhait, encadré par une mâchoire carrée mais pas trop. Merci Marcel, là tu me gâtes ! Le viticulteur fait les présentations, trop heureux de voir ma réaction, il me connaît assez pour lire sur mon visage le choc de son agréable surprise.

- Pinky, notre cavalière maison, dresseuse de chevaux sauvages et ambassadrice de charme ! (N’en jetez plus, la cour est pleine !)

- Gaetano Guardia, que je ne vous présente pas.

L’homme me serre la main, en la retenant un peu dans la sienne, ou bien suis-je déjà en train de fantasmer ? Par contre, Marcel, tu devrais éclairer ma lanterne, parce que ce nom ne me dit rien, je l’ai déjà entendu mais pas plus que celui de ses deux acolytes. Il lâche progressivement la main que je lui ai laissée, toujours avec son sourire très « dentifrice » plaqué sur le visage. Il devine mon interrogation à son sujet et complète dans un français parfait et avec, en prime, un léger accent espagnol qui rajoute à son charme :

  - Je suis torero.

Par une sorte de réflexe, je lui retire violemment le bout de main qu’il tenait encore, comme s’il était porteur d’une maladie honteuse. Et merde, pourquoi pas un boucher chevalin tant qu’on y est ! Je hais la corrida, Marcel, comment peux-tu me faire ça ! Un ange passe. Guardia fronce ses adorables sourcils, et devine mes pensées.

  - J’ai l’impression que vous n’aimez pas la corrida.

J’ai beaucoup de respect pour Marcel, mais j’avoue que je ne saisis pas son plan diabolique. Il connaît mon aversion pour ce spectacle barbare. Il a déjà usé beaucoup de salive pour me convaincre de la beauté de cet « art ». En vain. J’aime les animaux, sans sensiblerie, mais regarder pendant des heures ces bêtes se faire torturer, c’est au-delà de mes possibilités. Qu’y a-t-il à comprendre ? Compte-t-il sur la beauté de Guardia pour me convaincre ? Le repas promet d’être orageux !

  - Pinky n’a jamais assisté à une corrida !

  - J’y assisterai le jour où le taureau aura une chance de s’en sortir à la fin !

J’ai parlé sèchement. Les deux éleveurs n’ont rien compris à la bataille qui commence. Guardia prend l’air de celui qui a l’habitude de ce genre d’enfantillages. Il suppose que je n’y connais rien, mais que ne suis pas la dernière qui se laissera convaincre.

  - Avez-vous déjà vu un toro bravo ? Je veux dire, vu de près.

  - Je croise trois novillos tous les matins dans l’étang.

Et toc, je ne suis pas si inculte que ça, j’ai du vocabulaire, je sais qu’un novillo est un taureau de trois ans. Certes, il n’a pas encore son poids définitif, mais il peut déjà être toréé.

  - Iriez-vous vous mesurer à lui ?

  - Personne ne me le demande. Pas plus qu’on ne me demanderait d’affronter des moutons ou des vaches ? Et ne perdez pas votre temps, je ne suis pas admirative du courage que vous montrez pour les combattre !

 Son sourire a disparu. Il est aussi très beau en colère et je pense que mon obstination lui déplaît. S’attendait-il à ce que je change d’avis pour ses beaux yeux, même s’ils sont vraiment très beaux ? Il vous faudra un peu plus d’argument mon cher.

  - Je n’ai peut-être pas vu de corrida en direct live, mais je sais ce qu’on y fait, il y a des émissions télé spécialisée. Je peux même vous dire que je trouve le début magnifique. Mais dès que le picador s’en mêle, c’est affligeant, franchement, pour combattre vous avez quand même besoin qu’on diminue la force de votre adversaire !

Et oui, mon beau matador, j’ai des arguments ! La femme de Marcel, que j’appelle « Madame Marcel », ce qui l’énerve au plus haut point, se racle la gorge nerveusement, nous rappelant que nous ne sommes pas seuls et que nous donnons à ce repas une tournure qu’elle ne souhaite pas. D’ailleurs tout le monde est assis et nous sommes encore debout. Marcel a un sourire en coin qui m’exaspère, il se délecte de notre affrontement, je suis sure qu’il a misé sur Guardia. Il joue les faux-culs et nous gronde presque :

- Allons, vous n’allez pas vous battre ! Asseyez-vous tous les deux, vous reprendrez cette conversation plus tard ! Pinky, vous n’avez pas touché à votre apéritif, détendez-vous un peu.

Puis s’adressant aux autres :

  - Elle est à cheval depuis dix heures du matin, elle doit se requinquer ! Allez trinquons à la feria !

Tout le monde lève son verre et je bois le verre de pastis opaque servit par Marcel. J’ai l’impression que mon breuvage est solide tellement il est épais et je me rajoute de l’eau.

  - Marcel, vous voulez me saouler ou quoi ?

  - J’espérais que ça vous calmerait. Je suis sure que vous trouverez mieux à faire avec ce garçon plutôt que de vous voler dans les plumes toute la soirée !

  - Mais vous êtes un véritable entremetteur !

Guardia a retrouvé son magnifique sourire. J’ai du mal à regarder ailleurs, il est magnétique. Il s’est assis face à moi et ne me quitte pas des yeux lui non plus. Sa façon de me fixer me donne chaud, il n’est pas gêné, il ne fait pas semblant de regarder ailleurs. Je sens son regard se balader sur mon visage, mon cou, mes cheveux, mes seins puis remonter à mes yeux. J’ai dû rougir. Il l’a vu et semble satisfait.

Mme Marcel est assise à côté de lui. Son regard vert a un éclat étrange. Elle est d’habitude très lointaine, surtout quand je suis là. Elle est le contraire de son mari, aussi sèche qu’il et enrobé, elle est antipathique, snob et coincée. Elle a en outre des problèmes de dos qui accentuent son air rigide et hautain. Je sais qu’elle me déteste copieusement. Je suppose qu’elle ne supporte pas mes origines modestes, mes conversations légères, voire grivoises, que son mari affectionne particulièrement. Elle sait qu’avec moi, Marcel se lâche, il cesse de jouer le rôle qu’elle lui a octroyé il y a une trentaine d’années. Je fais celle qui ne se rend compte de rien, tout en m’appliquant à faire revenir le naturel de Marcel au triple galop, dès que nous sommes en société. Dans ces occasions, elle a du mal à masquer son agacement et finit invariablement par faire la tête et prétexter une grande fatigue pour s’éclipser. Ce qui finit par soulager toute l’assistance, sa présence étant rarement bienveillante. Marcel est le premier à bénéficier de son absence et me remercie souvent d’un clin d’œil. Il peut alors laisser s’exprimer le paillard qui sommeille en lui et faire une cour appuyée à une des belles de la tablée, s’il y en a. C’est le moment où la soirée devient vraiment amusante. Marcel redevient le chaud lapin d’antan, surtout si le vin coule à flot. Son inventivité est sans limite quand il s’agit de raconter l’histoire du domaine et de son glorieux constructeur, Riquet. C’est grâce à ses histoires rocambolesques et néanmoins coquines qu’il chauffe son auditoire. Les dames finissent toutes par se pâmer devant lui et il est aux anges. Je pars en général avant la fin de ces soirées, et je ne peux pas confirmer que sa femme se transforme systématiquement en bête à corne, mais je pense que cela a dû se produire plus d’une fois.

Mais ce soir, il va falloir que je sois vraiment forte pour éloigner la vieille chouette. La présence de Guardia l’a métamorphosée. Elle sourit (l’ai-je déjà vu sourire ?), sa rigidité semble avoir disparu, elle fait dix ans de moins. Etonnant, l’effet « torero » ! J’ai même l’impression que les rôles pourraient s’inverser si Marcel était fatigué plus tôt que prévu. Sa peau très pale habituellement a repris des couleurs et ses yeux brillent sans qu’elle n’ait bu une goutte (elle ne bois jamais d’alcool, a-t-elle été alcoolique ?). Elle arrive à capturer l’attention du torero qui à présent est en grande conversation avec elle. Jalouse, moi ? Non, plutôt intriguée.

Consuelo arrive avec une superbe paella, sa spécialité. Elle dépose la grande poêle sur la table non sans avoir lancé des œillades à Guardia, à la limite de l’indécence. A la voir, je dirai que cette femme, mariée, croyante et respectable serait prête à tout pour le torero. C’est juste incroyable. Lui, a bien remarqué la couleur pivoine de la bonne, et lui renvoie un sourire radieux et un clin d’œil. Je n’en crois pas mes yeux. Cet homme semble habitué aux hommages féminins, il les accepte naturellement, quelle que soit la femme qui les lui adresse. C’est un charmeur né. Il a l’habitude d’être admiré pour ne pas dire adulé, et il le vit très bien, sans forfanterie. Il est aux anges, couvé par le regard des femmes qui l’entourent. Contrairement à beaucoup de personnes au physique avantageux, il aime plaire à tout le monde, beau ou moche, jeune ou vieux ! Il renvoie à chacun l’attention qu’on lui porte sans discrimination aucune, Consuelo en est toute retournée, Mme Marcel ressemble à une chatte en chaleur. Et moi, quelle est vraiment ma réaction ? Il se délecte un peu trop visiblement de l’effet qu’il produit. Son extrême assurance me donne envie de le malmener un peu.

Mme Marcel reprend sa conversation avec lui, pendant que Consuelo nous sert. Fine mouche, elle lui parle en espagnol, savourant sa revanche ; je suis la seule non- hispanophone à cette table, elle m’en exclue defacto. Les voilà tous partis dans une conversation à bâton rompu sur les taureaux et les éleveurs. Je me concentre sur ma paella, moitié vexée, je dois l’admettre. Ce sentiment ne me plait pas trop. Ce type n’est qu’un assassin de bovidés. Cette seule idée devrait me détourner de lui. Soit forte, Pinky, ne te laisse pas embobiner par sa gueule d’amour ! Je suis perdue dans mes réflexions.

Le torero a beau parler avec les autres, je vois bien que mon indifférence l’intrigue. Ma décision est prise, il va devoir faire de gros efforts pour que je m’intéresse à lui. Je mange donc en silence. Ce silence semble peser sur sa nuque, qu’il frotte à présent de la paume de sa main. Il me regarde en coin. Il oublie que j’ai l’habitude des animaux et je sais bien décoder les messages du corps. Mme Marcel est toute à lui, elle s’anime, le touche par des gestes discrets mais répétés, elle se trémousse. Elle rit à chacune de ses réparties. Je mâche, captivée par un papillon de nuit qui vient de s’échouer sur la table. Pour poursuivre sa conversation avec les autres convives, il est obligé de presque me tourner le dos, et c’est apparemment très inconfortable pour lui. Marcel, lui-même est sous son charme. Je tends la main pour me servir un verre de vin. Guardia saisit l’occasion, il s’empare de la bouteille, ce qui confirme qu’il me surveillait du coin de l’œil. Ses yeux reviennent vers moi.

- Excusez notre impolitesse. Je vous sers.

- Si ça peut vous faire plaisir.

- Je peux parler en français.

- Vous le parlez remarquablement bien

- C’est grâce à Nadège, elle a été mon professeur à Barcelone, il y a quelques années.

Nadège est le prénom de Mme Marcel. Je découvre qu‘elle a peut-être eu une autre vie avant de s’établir ici, c’est surprenant. Voilà l’origine de leur intimité. Je trempe les lèvres dans mon breuvage, toujours ailleurs dans mes pensées. Marcel me remet au centre de la conversation.

  - Pinky, vous êtes bien silencieuse !

Puis il s’adresse à Guardia.

  - C’est une excellente cavalière. Vous connaissez J.R Coste, c’est elle qui lui a débourré tous les chevaux cet hiver.

Guardia se replace sur sa chaise, bien face à moi. La pauvre Nadège se sent toute délaissée, et je jubile intérieurement.

  - J’ai beaucoup de chevaux chez moi, des andalous.

  - Vous m’auriez dit des percherons, j’aurais été étonnée !

Il est visiblement surpris du ton de ma réplique.

  - Vous n’avez pas l’air d’aimer les races ibériques !

  - Comment ne pas les aimer ! Ils sont beaux, chauds comme la braise, ils en font des tonnes, mais quand on les connaît, on se rend compte que c’est de l’esbroufe. Ils sont faciles à maîtriser. Ce sont des chevaux de frimeur !

Je sens que je l’ai vexé. Son regard s’assombri, il se redresse dans son siège, comme un brave torero.

  - J’en connais certains qui sont de vrais fauves, pas si dociles que ça !

  - Je sais, ce sont souvent des étalons. Je me suis toujours demandé quel était l’intérêt de garder ce genre de bête pour la reproduction. S’ils sont incontrôlables autant ne pas en faire des lignées entières, ce ne sont pas des bêtes de combat !

  - C’est cette agressivité qui leur donne de l’allure.

  - Oui, pour frimer ! Ça en jette tellement plus de monter un animal qui saute partout et qui se défend !

  - Ça leur donne aussi des gestes plus nobles, plus amples.

  - Vous confondez agressivité et énergie !

Le torero est désarçonné par, ce qu’il faut bien appeler ma combativité. Il réfléchit. Il est plus intelligent que je ne l’aurais cru, car il ne poursuit pas sur ce terrain glissant, mais revient à ses fondamentaux :

  - Je vous ai trouvé magnifique tout à l’heure, sur cette jument. Vous la montez très bien.

  - C’est la jument de Marcel.

Marcel, qui n’a rien perdu de nos échanges, vient ajouter son grain de sel :

  - Il n’y a qu’elle pour en tirer quelque chose, avec moi, c’est une vraie peste !

  - Elle n’aime pas beaucoup les hommes, elle a besoin de douceur et de légèreté.

  - Vous pensez que les hommes en sont incapables ?

L’espagnol se rapproche de la table et me fixe intensément. Soudain, j’ai chaud, mais j’ai très envie de me laisser emporter dans la direction qu’il donne à cet échange.

  - Les hommes manquent de patience. Ils veulent arriver à leurs fins trop vite. Ils ne sont pas assez à l’écoute de leur monture, spécialement quand ce sont des juments délicates.

  - Je n’aime pas me vanter mais, je pense que je ne suis pas ce genre de cavalier brutal et impatient. Je suis très attentif et très respectueux. J’ai même la réputation de venir à bout des animaux les plus récalcitrants.

  - Les dresseurs de fauves aussi. Avec un fouet et une cravache, on peut faire des miracles ! Ce n’est pas la soumission qui compte, c’est l’entente et la coopération, le plaisir partagé !

Une étincelle s’allume au fond des pupilles sombres en face de moi. De quoi parlons-nous au juste ! Je ne suis même pas sure que nous le sachions encore. Un sourire s’épanouit sur son visage, creusant une fossette dans sa joue, comme si son charme avait besoin de cet accessoire-là, la nature est injuste. Il se détend, reprend appuis sur son dossier, sans me quitter des yeux. J’aime ce court silence. Il me jauge, il hésite, puis reprend :

  - Vous savez, un torero ne dispose que d’une période très courte pour connaître son adversaire dans l’arène. Mais il doit tout savoir de lui en un minimum de temps, sa vie en dépend. En trois passes, il détermine le comportement de l’animal et s’adapte instantanément à lui, sans contrainte, sans contact, juste en le regardant bouger, juste en le frôlant, en croisant son regard. Toute la beauté de la corrida est là, c’est une sorte de sévillane, où chacun se déplace en fonction de l’autre. Il n’est pas question de violence, de fouet. C’est un corps à corps sensuel.

Je suis troublée et je ne m’attendais pas à ce genre d’argument. J’oscille entre charme et horreur.

  - Vous avez une drôle de façon d’être sensuel. Je vous rappelle quand même, que ce corps à corps se termine par la mort ! Si ce n’est pas violent, je me demande ce qui l’est ?

  - Dans la corrida, c’est la seule issue.

  - C’est ce que je n’aime pas. L’histoire n’est pas intéressante puisque dès le départ, on en connaît la fin, et la fin est triste.

- Mais la manière d’y parvenir est toujours différente. Un peu comme en amour, on sait comment cela va se finir, mais c’est la stratégie qui change.

La métaphore a vécu. Nous y voilà, mais ne nous emballons pas.

  - Vous prenez des raccourcis un peu cavaliers, vous ne croyez pas ?

Mme Marcel n’apprécie pas le cours que prend la discussion. Elle me fusille du regard et contre toute attente, reprend ses vieilles habitudes et prend congé de nous. Sa migraine est de retour. Les hommes se lèvent pour la saluer, je lui adresse un hochement de tête, elle m’ignore. Elle a quand même réussit son coup, le charme est rompu. Marcel refait le niveau de nos verres. Il s’adresse à Guardia comme si je n’étais pas là :

  - Je t’avais dit qu’elle avait mauvais caractère. Toutes les cavalières que je connais sont comme ça.

  - Je te mentirai si je te disais que ça me déplait !

Vite, une gorgée de vin, histoire de me détacher du regard de braise qui pèse sur moi. Marcel, je te hais ! Je suis tiraillée entre l’envie de les envoyer paître tous les deux pour leur comportement de bons machos, et l’envie de poursuivre notre joute verbale. Consuelo ne me laisse pas choisir, elle apporte le dessert, un clafoutis aux prunes. La diversion est bienvenue, elle me permet de reprendre mes esprits. Que fais-je ici ? Je dois m’en aller au plus vite. Leur humour de torero est malsain et je n’ai pas envie d’être cet objet entre leurs pattes. Comme pour conforter mon opinion, Marcel reprend la discussion en attrapant Guardia par les épaules :

  - Vous savez Pinky, je connais Gaetano depuis quinze ans. C’est moi qui l’ai fait débuter aux arènes de Barcelone. J’ai eu du flair, c’est le meilleur de sa génération. C’est quelqu’un de bien, il y a des milliers de femmes qui rêveraient d’être à votre place.

  - Pour discuter de corrida ?

  - Pas uniquement !

Marcel a toujours été du genre lourdingue. Sa face de lune est illuminée, il est un peu saoul aussi. Gaetano semble un peu gêné, il ne doit pas souvent avoir recours à un coup de pouce en matière de séduction et il le vit plutôt mal. Il est temps que je m’en aille, tout cela ne mène à rien. Ne laissons pas les choses dégénérer ce soir. Je me lève. Le regard du torero s’assombri, il ne s’y attendait pas.

  - Ce n’est pas que je m’ennuie, mais la journée de demain promet d’être longue et fatigante, je vais donc me reposer un peu. Bonne soirée à tous.

  - Pinky, vous n’allez pas nous laisser entre hommes ?

  - Pour parler taureau, vous n’en serez que plus à l’aise. A demain.

Sancho Pansa et Don Quichotte me saluent. Marcel se lève et me fait la bise comme à son habitude.

  - Ne vous en faites pas, ma petite Pinky, je nourrirai les chevaux demain matin, reposez-vous, prenez des forces, je vous veux en forme demain soir.

  - Buenas noches, señores !

Guardia me rend la politesse sans broncher. Je laisse la petite assemblée derrière moi et je m’enfonce dans la pénombre à la recherche de mon vélo, garé prêt de l’enclos des chevaux. Je pourrais aisément les retrouver à l’odeur. D’ailleurs, je les entends marcher et souffler, le Gros Noir hennit doucement. Mon vélo est bien là, je place la dynamo sur ma roue, à tâtons.

  - Voulez-vous que je vous raccompagne ?

L’idiot ! Je ne l’ai pas entendu me suivre, il m’a fait peur, j’ai étouffé un cri en sursautant. Gaetano pose sa main sur mon bras, pour me rassurer, sans doute. Elle est brûlante.

  - Excusez-moi, Pinky, je ne voulais pas vous effrayer.

Il met du miel dans sa voix quand il prononce mon surnom.

  - Trop tard, Gaetano !

Je lui rends la pareille, en prononçant le sien de ma voix la plus grave. Il est derrière moi. Je sens son parfum sucré mais discret. J’ai l’impression de ressentir les vibrations de son corps.

  - Vous n’allez pas rentrer à vélo toute seule, la nuit ?

  - Pourquoi, vous pensez que je risque de rencontrer des monstres ?

Je parle à tâtons. Je me suis retournée, mais je ne distingue que sa silhouette noire contre le bleu nuit du ciel. Sa voix vient d’assez haut, il est plus grand que je ne l’aurais cru.

  - On ne sait jamais, vous allez loin ?

  - Juste trois kilomètres, j’en ai pour dix minutes, ne soyez pas inquiet.

Il ne m’a toujours pas lâchée. Sa main desserre un peu son étreinte et remonte le long de mon bras. Une caresse ?

  - Vous êtes courageuse.

  - Oui, comme un toro bravo !

La main se raidit un peu mais continue de me faire frissonner.

  - Alors, vous devriez avoir peur de moi. Vous savez ce que je fais aux courageux taureaux !

  - C’est peut-être à vous d’avoir peur, vous ne savez pas avec quelle arme secrète je pourrais vous embrocher.

Tiens, une autre main se pose sur mon autre bras. Il s’approche. Je fais un pas en arrière. Non, Gaetano, je ne me rendrai pas sans combattre. Au creux de mon oreille, il chuchote :

  - J’adorerai ça !

Tous mes signaux clignotent dans le rouge. Je ne le laisserais pas aller plus loin, pas ce soir, ce serait trop facile. Ce soir, c’est quitte ou double, et je double, je prends le risque de ne jamais connaître le baiser du fameux torero. Je passe peut-être à côté de la sensuellissime étreinte de ma vie. Tant pis, si je le laissais faire, je perdrais ma propre estime. Je grimpe sur mon vélo et donne quelques coups de pédale pour me sortir au plus vite de ce piège.

  - Bonne nuit, Gaetano, dormez bien, faites de beaux rêves.

Un silence énervé me répond. Je souris dans la nuit. J’aurais bien aimé voir son visage à ce moment précis. Il ne doit pas avoir l’habitude de rester sur sa faim dans ce genre de situation. Il faut dire qu’il n’est pas si facile de lui résister. Si je m’écoute, je regrette un peu, déjà. Mon attention est vite reportée sur le chemin. Ma lampe m’éclaire d’une manière symbolique. Heureusement, je connais ce sentier par cœur. Je dois juste faire attention aux amarres des péniches stationnées pour la nuit, au bord du canal. Mes yeux se sont habitués à l’obscurité et j’accélère. Je croise les limousines stationnées en haut du chemin, quelqu’un fume juste à côté, je vois luire un mégot. Puis je tourne le long du canal. La fatigue tombe lentement sur mes épaules.

Quelle soirée ! Sacré Marcel, il a bien failli m’avoir. Le fiancé de ce soir était au-dessus du lot. Mais quand même, un torero, me connaissant, c’était voué à l’échec. Il faut reconnaître que le charme de Gaetano est très puissant, d’ailleurs, je sais déjà que je ne l’exclus pas totalement de mes pensées. Il aurait pu être bête, imbu de sa personne, hautain, distant. Mais non. Et ça ne va pas me faciliter la vie. Je sais que Marcel n’abandonnera pas son idée, au contraire. Quant à Gaetano, peut-être ne me regardera-t-il plus de la même manière à la lumière du jour. Après tout, je n’ai jamais été une beauté fatale, ce serait plutôt le contraire. Je suis vraiment, on ne peut plus banale. De toute façon, je ne me fais pas d’illusion, je n’aurais été que le coup d’un soir. Et ce n’est pas ma tasse de thé. Je ne veux pas entendre la petite voix, qui , au fond de moi me dit :  « Oui, mais un coup comme celui-là ne se présente pas tous les jours, ravale ta fierté, ma fille ! ». Je traverse la passerelle à l’entrée du village et je suis arrivée chez moi. Une fois dans mon lit, je m’endors comme une souche, les remords ne me tiendront pas en éveil.

 

 

 

 

 

 

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